Introduction
Accompagner un proche, un patient, dans ce moment capital de la mort est tout d’abord une prise de conscience que chaque respiration est précieuse, et que la vie est ce souffle qui nous anime chaque jour et dont on ne prend conscience que lorsque l’on sent notre vie s’éteindre. Notre naissance est aujourd’hui médicalisée dès la conception, par le choix de concevoir ou non un enfant, par la procréation médicalement assistée, par la naissance qui se fait aujourd’hui, dans 99 % des cas, à l’hôpital. Nous pouvons parfois regretter cette surmédicalisation mais ce serait nier toutes les vies créées, sauvées par cette dernière. En outre, face à ce constat, le monde médical a su se réinventer en créant un environnement plus « holistique », en accueillant les pères dans les salles de naissance, formant le personnel à l’accueil du nouveau-né par le peau-à-peau mère et père, le massage, la première tétée, et en effectuant un travail pluridisciplinaire autour de la parentalité.
Mais qu’en est-il aujourd’hui, de l’accompagnement de notre mort ?
« Nous, les soignants, nous sommes formés à sauver des vies, pas à tuer ! » Cette phrase prononcée en mai 2024 résonne encore dans mes oreilles ! Une de mes patientes, alors âgée de 96 ans, souffrait et angoissait. Elle avait décidé d’achever sa vie auprès de ses proches, chez elle, mais nous étions démunis face à sa détresse ! Les équipes médicale et paramédicale peinaient à trouver cet équilibre entre soulager et tuer. La demande de cette patiente n’était pas de la sauver ou d’arrêter sa vie, mais d’être accompagnée par l’allopathie pour soulager la douleur d’un corps qui se meurt et d’un humain qui a peur. Et pour ce faire, lui permettre de vivre dignement, confortablement ses derniers instants.
À la recherche d’un équilibre
Chaque culture appréhende différemment ce temps particulier. En Afrique, en Inde, la mort est célébrée comme une fin et un renouveau, mais le mourant n’est que très peu assisté. En Orient, ce dernier est au contraire veillé, même au-delà de la vie en fonction des religions. En Occident, nous avons, comme pour la naissance, fait de cet événement une affaire médicale. Nous mourons souvent à l’hôpital. Et le personnel soignant apprend aujourd’hui à « assister » sur le tas. Néanmoins, la mort est souvent vécue comme un échec, une impuissance du soignant à avoir guéri ou soigné. Pourtant, nous naissons et mourons depuis la nuit des temps et par ce fait, nous possédons des savoirs ancestraux pour partager l’ultime ! Un accompagnement intégratif est le subtil équilibre entre les médecines dites « traditionnelles » et la médecine allopathique : soulager, prendre en compte l’êtreté dans toutes ses dimensions. C’est accepter ces moments de vie d’une rare intensité où chaque instant partagé est précieux. C’est partager les derniers repas, les dernières confidences, les derniers regrets ou remords, les derniers rires, les dernières joies, les dernières étreintes, ces instants nourris d’éternité pour les proches, et offrir à chacun l’opportunité d’être en paix avec cette vie qui s’achève ! Un ami endeuillé de son père me confiait que s’il avait su avant l’approche imminente de sa mort, ils auraient effectué ensemble le chemin des souvenirs de sa vie, loin de l’atmosphère aseptisée de l’hôpital. Il aurait ancré chaque instant pour en faire un moment unique de joie, d’amour et de partage. En Belgique et en Suisse, dans les centres de soins palliatifs (trop peu nombreux en France), il existe cet accompagnement intégratif : il devient le projet de soins. L’équipe pluridisciplinaire médicale, paramédicale, thérapeutique, avec l’environnement psychosocial, assiste la personne vers une fin de vie qui lui ressemble et lui appartient.
Mais alors, qu’est-ce que cet accompagnement intégratif ? Comment rendre notre fin de vie plus digne, respectueuse de l’être humain dans ses trois corps, physique, émotionnel et psychologique ?
Je vous répondrais d’abord : c’est accueillir l’autre là où il se trouve, dans toutes ses dimensions. Mais cette réponse est une non-réponse, car trop floue. C’est pourquoi je choisis de vous décrire ce qu’est un processus intégratif.
Reconnaître l’autre dans son corps
Écouter la douleur physique, avec la mise en place de traitements antalgiques visant à soulager efficacement, proposer un touchermassage, une toilette, prendre soin de la tenue vestimentaire de chaque jour, choisir la tenue post-mortem, rendre l’instant vivant ! S’adapter aux envies alimentaires, aux envies parfois étonnantes comme celle de faire un repas festif composé d’aliments choisis par le mourant. Si l’alimentation n’est plus possible, humecter la bouche avec le goût de l’aliment choisi. Il m’est arrivé de faire des soins de bouche avec du jus d’huître, du pineau, du champagne, d’écraser une frite… Il n’y a aucune demande déraisonnable en de tels instants ! Dormir contre l’autre, sentir le parfum, humer des fleurs, voir une dernière fois la mer… Mettre les pieds au sol, porter des Louboutin, sentir le sable sous ses pieds, se faire faire une manucure ou une coupe de cheveux.
Écouter l’autre sans jugement
Avoir une présence vraie, silencieuse ou bruyante (le rire des enfants, le bruit des klaxons), reconnaître l’émotion sans chercher à la calmer, la reformuler au besoin. Offrir à la personne un temps d’intimité avec les personnes de son choix, au-delà de tout conflit, avec leurs animaux de compagnie. Si l’angoisse est encore trop présente, travailler à la sérénité, en lien avec les équipes pluridisciplinaires : médecins, infirmiers, aides-soignants, sophrologues, psychologues, personnes-ressources… Accepter la croyance de chacun, prier avec lui, écouter la musique de son choix, l’envie de vivre encore, cultiver son espoir s’il en a besoin. Être mourant ne signifie pas être mort ! C’est avoir encore un souffle de vie.
Être aligné et préparé en tant qu’accompagnant
C’est aussi être présent à soi-même, écouter ses propres émotions, accepter ses limites, se créer des instants « refuges », s’entourer de personnes-ressources (thérapeutes ou non) et se préparer à l’après. Accompagner une personne en fin de vie, c’est aussi être face au miroir de sa propre mort ou à un deuil prochain à effectuer. ET APRÈS… Durant l’accompagnement, le temps semble suspendu, les minutes précieuses. Il y a des espaces où l’existentiel de chacun prend de nouvelles dimensions. À l’instar de la naissance, l’intensité du partage donne un sens nouveau à cette mort !
Au dernier souffle, nous retenons le nôtre avant de pouvoir le reprendre
Cette image illustre ce qui va se vivre ensuite. La période du deuil commence. Dire au revoir une dernière fois par un hommage, une veillée, un enterrement, une crémation. La dispersion des cendres est un dernier recueillement, ensemble, avant que le silence prenne place vers le travail intérieur de l’adieu. Élisabeth Kübler-Ross décrit le deuil en cinq étapes principales : • Le déni ou la sidération : comme un couperet, l’impossible, • La colère, avec la désignation d’un coupable… • Le chantage ou marchandage : encore un soir, un jour, une heure… • La tristesse ou l’abattement, • L’acceptation : comme un lever de soleil sur la vie ! Il est important de noter que chaque personne vit son deuil avec son unicité. Des allers-retours entre les étapes sont possibles. Néanmoins ce processus se fait plus aisément lorsque l’accompagnement a été respectueux, intégratif.
Comment trouver des accompagnants ?
Il existe différentes possibilités telles que les centres de soins palliatifs, des associations, des thérapeutes spécialisés dans la fin de vie, notamment les Conseils en santé globale (anciennement CSH). Cependant, malgré l’évidence de notre mortalité, encore trop peu de professionnels sont formés. Je finirai par ces mots d’un de mes patients, âgé de 92 ans : « La vieillesse et la maladie sont l’acceptation de ce qui n’est plus, de la finitude de la vie, mais surtout elles sont le cadeau de profiter de vivre encore et de rendre notre dernier souffle avec volupté ».